traversée des états

 

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TRAVERSÉE DES ÉTATS


TEXTE DE CATHERINE PAVLOVIC, DIRECTRICE DU PARC SAINT LÉGER, POUR TRAVERSÉE DES ÉTATS, EXPOSITION SOLO DE STÉPHANIE SAADÉ, PARC SAINT

LÉGER, POUGUES-LES-EAUX, FR, 2018.

 

« Je ne peints pas l’estre, je peints le passage. »

Michel de Montaigne, EssaisLivre III, 1588


Comme un écho à la pratique de Stéphanie Saadé, cette citation accompagne le choix des œuvres opéré pour son exposition monographique « 

Traversée des Etats ». L’exposition met en évidence le caractère indiciel du travail, la constance du processus et la mesure de l’évolution de l’espace-

temps. Son œuvre procède essentiellement par transposition, déplacement et métaphore pour explorer les relations entre l’intime et l’universel. Un peu

à la manière d’un arpenteur, l’artiste mesure ses trajets favoris, le temps qui existe entre des événements autobiographiques et l’Histoire ou encore la

rencontre impossible entre le passé et le présent. À partir de cette poétique de l’intime, elle ne reconstitue pas seulement son histoire et celle du Liban,

mais elle joue sur les décalages temporels et géographiques pour induire un sentiment de dépaysement face à son environnement personnel.


Les œuvres de Stéphanie Saadé sont autant d’indices, de traces qui mettent en évidence l’effet heuristique de la distance. L’artiste place ainsi le

spectateur dans une position d’archéologue qui perçoit les œuvres comme autant d’énigmes qu’il ne peut identifier directement. Elle utilise

régulièrement ce procédé de mise à distance pour questionner ce qui est vu et ce qui est su et mettre ainsi en évidence l’idée d’impermanence et

d’inachèvement. Cependant, ce recul ne s’exprime pas que de manière subjective puisqu’elle intègre dans son travail des outils de mesure parfaitement

objectifs. Avec son œuvre Elastic Distance (2017), l’artiste nous montre, en temps réel, l’éloignement physique qui la sépare de l’espace d’exposition, à


l’aide d’un téléphone mobile et d’une application de géolocalisation. Cette distance se transforme, en même temps, en un lien constant avec l’exposition

en cours. L’installation Building A Home With Time (2016-2018) reproduit les dimensions de la chambre d’enfant de Stéphanie Saadé en utilisant 2832

briques, quantité qui correspond au nombre de jours de guerre du Liban vécus par l’artiste. De par son déplacement, cet espace concret devient la

métaphore de l’espace protégé et privilégié qu’est le temps de l’enfance. Ce procédé, apparenté à un oxymore, pourrait être entendu comme le moyen

pour les hommes de maîtriser leur destin. Mais on retrouve aussi cette pratique dans une forme de bricolage et plus particulièrement dans sa série

d’œuvres regroupées sous l’intitulé de Re-Enactment. Ces assemblages s’apparentent à des sortes de ready-mades assistés, composés à partir de

matériaux prélevés du quotidien pour souligner une poésie de la désuétude. Ils semblent œuvrer contre l’oubli de ces objets ordinaires mais surtout 

contre l’oubli des situations dans lesquelles ils ont été initialement trouvés. À nouveau, par effet de transposition, l’artiste nous invite à réévaluer notre

point de vue, à dépasser les apparences pour tendre vers une compréhension plus profonde de la réalité.


Le déplacement géographique joue un rôle important dans l’œuvre de Stéphanie Saadé, il en est peut-être même le fondement. Avec Nostalgic

Geography
 (2013), l’artiste fait cohabiter dans un même espace des trajectoires et des temporalités inconciliables. Elle incruste une ligne métallique sur

un détail de la carte du Liban qui reproduit le tracé d’un trajet fréquemment emprunté dans les rues de Paris durant ses études. Pour A Map of Good

Memories
 (2015), elle assemble vingt de ses trajets préférés pour former une sorte de territoire sentimental pouvant être traversé par le spectateur.

Réalisée à la feuille d’or, cette carte autobiographique devient une surface réfléchissante qui permet à d’autres vies de s’y refléter tout en soulignant

l’impossible rencontre entre le présent et le passé. Quant à l’or, matériau fréquemment utilisé par l’artiste, il semble fonctionner comme un élément de

permanence qui permet de fixer les états éphémères. Ainsi, avec une économie de moyens, tout le travail de Stéphanie Saadé nous invite à explorer

les notions d’habitat et de déplacement.

 

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CROSSING STATES

 

TEXT BY CATHERINE PAVLOVIC, DIRECTOR OF PARC SAINT LÉGER, FOR CROSSING STATES, SOLO EXHIBITION BY STÉPHANIE SAADÉ, PARC SAINT

LÉGER, POUGUES-LES-EAUX, FR, 2018.

 

“I do not paint the being, I paint the passage.”

(Michel de Montaigne, EssaysBook III, 1588)


Like an echo of Stéphanie Saadé’s practice, this quotation from Montaigne accompanies the selection of works that was made for her solo show

“Traversée des États” (Crossing States). The show highlights the index-like character of her work, the constancy of the process, and the measure of

how space-time evolves. Her body of work proceeds essentially by transposition, displacement, and metaphor to explore the connections between the

private and the universal. A bit like a land surveyor, the artist measures her favorite journeys, the time that exists between autobiographical events and

history, or the impossible meeting of the past and the present. From this poetics of intimacy, she not only recreates her personal history and the history

of Lebanon, but also plays on temporal and geographic mismatches in order to spark a feeling of estrangement before her personal environment.


Saadé’s works are hints or traces that point up the heuristic effect of distance. The artist thus puts the viewer in the situation of the archeologist, viewing

the pieces like riddles that she or he cannot identify directly. She regularly uses this distancing process to question what is seen and what is known, and

thus to underscore the idea of impermanence and incompletion. This pulling back, however, isn’t expressed in a subjective way since she integrates in

her work measuring tools that are perfectly objective. With her piece entitled Elastic Distance (2017), the artist shows us in real time the physical

distance that separates her from the exhibition venue using a cellphone and a geolocation app. At the same time this distance is transformed into a

constant link with the current show. The installation called Building A Home With Time (2016-2018) reproduces the dimensions of Saadé’s room as a

child, using 2832 bricks, the quantity here corresponding to the number of days the artist spent living through the Lebanese Civil War. By being shifted

elsewhere, this concrete space becomes a metaphor of the protected and privileged space that is the time of childhood. Akin to an oxymoron, this

process could be understood as a way humans have of mastering their fate. But this practice is also found in a form of bricolage and in particular in the

series of works to which she has given the collective title Re-Enactment. These assemblages akin to assisted readymades are composed from

materials the artist has withdrawn from day-to-day reality to underscore a poetry of disuse. They seem to work against the oblivion surrounding these

ordinary objects but above all the oblivion of the situations in which they were initially found. Once again, through an act of transposing, the artist invites

us to reevaluate our point of view and go beyond appearances to aim for a deeper understanding of reality.


Geographic displacement plays an important role in Saadé’s work; it may even be its foundation. With Nostalgic Geography (2013), the artist brings

together foreign trajectories and temporalities side by side in one and the same space. She has inlaid a detail of a map of Lebanon with a metal line that

reproduces the route she often took through the streets of Paris during her studies. For A Map of Good Memories (2015), she gathers twenty of her

favorite routes to form a kind of sentimental territory that viewers may go over themselves. Realized in gold leaf, this autobiographical map becomes a

reflective surface that enables other lives to be mirrored there while emphasizing the impossible meeting of the present and the past. As for gold, a

material the artist frequently uses, it seems to function like an element of permanence that makes it possible to freeze fleeting states. Thus, with an

economy of means, all of Stéphanie Saadé’s work invites us to explore notions of settlement and displacement.